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Texte de Gilles Altieri
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Marek Szczesny (prononcer Tchesny) est né en 1939 à Radom en Pologne. En 1980 il émigre en France, qui incarne à ses yeux le pays de l’art et de la liberté. Son intégration n’est pourtant pas chose facile. Il connaît l’isolement et doit, pour subsister, accepter les travaux les plus pénibles sur des chantiers de travaux publics, ou comme veilleur de nuit, tout en travaillant avec acharnement sa peinture. Au fil des ans sa situation s’améliore et des galeries s’intéressent à son travail.
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De nombreuses expositions personnelles et de groupe jalonnent sa carrière durant les dernières décennies, en France et en Europe. En outre, et ce n’est pas indifférent, il est lauréat de plusieurs fondations importantes aux Etats-Unis, telle la Pollock-Krasner Foundation en 1999, et la Adolph and Esther Gottlieb Foundation en 2008. Cet intérêt des Etats-Unis pour son travail se conçoit aisément tant son œuvre s’inscrit dans la tradition initiée par les grands artistes expressionnistes américains qu’Harold Rosenberg qualifiera en 1952 d’Action painters.
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La peinture de Szczesny ne doit pas s’appréhender sous un angle purement formel. Elle traduit avant tout une force morale et éthique, ainsi qu’une grandeur tragique, même dans les pièces les moins figuratives. La formule d’Henri Focillon « la main fait l’esprit, l’esprit fait la main » pourrait avoir été inventée pour lui. Il y a en effet chez Szczesny un arrière monde, qui n’affleure pas nécessairement à sa conscience, mais qui s’exprime à chaque coup de pinceau. Ses lignes impérieusement tracées qui se chevauchent, suffisent à produire chez le regardeur un choc émotionnel proche de la sidération.
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Les grands formats qu’il affectionne ajoutent certainement à cette solennité tragique, ainsi que, depuis quelques années, la réapparition de la figure humaine. Celle-ci se manifeste sous forme d’une simple silhouette dont seul le contour est tracé. Ce corps, naïvement et pauvrement dessiné, par son vide même, devient le réceptacle et la projection de notre angoisse existentielle. L’Homme de Szczesny c’est la victime innocente de toutes les tragédies qui nous adresse son cri muet. « Ce qui nous intéresse, confirmait Picasso, c’est le drame de l’homme. Le reste est faux ».
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Interrogé sur ce retour à la figure humaine, Szczesny explique avoir éprouvé le besoin de replacer l’homme au cœur de son travail, mais également de renouveler son expérience artistique grâce à une nouvelle thématique et éviter de perdre sa sincérité en s’enfermant dans un système trop maîtrisé qui pourrait devenir formel.
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Outre le thème abordé, les œuvres de Szczesny tirent essentiellement leur force de moyens purement picturaux. Contrairement à certains peintres contemporains qui pensent la peinture en termes de masses colorées, à leurs agencements, et aux rapports qu’elles entretiennent entre elles, chez Szczesny c’est le dessin qui prime. Sa palette de couleurs est des plus restreintes et se réduit à des verts wagon, des rouges rouille, des bruns, rarement de bleu, mais surtout des gris, du noir et du blanc.
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Il attaque la toile sans croquis ni dessins préalables, mais prend souvent appui sur le souvenir d’un travail précédent. Il ne sait jamais ce qui va advenir, et le dessin s’effectue directement sur la toile, pinceau en main. De nouveaux traits vont ainsi se croiser avec les premiers, puis un plan coloré viendra se superposer, et ainsi, par tâtonnements successifs et « grâce » à d’heureux accidents, la toile prendra sa forme définitive - on peut facilement observer dans plusieurs tableaux qu’ils ont été tournés dans plusieurs sens, comme le prouvent les coulures horizontales ou de bas en haut. Souvent aussi, Szczesny éprouve la nécessité, d’inclure dans le tableau un morceau de tôle, une pièce de bois ou un papier déchiré. Par cette intrusion d’un corps étranger l’œuvre acquiert une dynamique inattendue et une nouvelle tension.
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Lorsque la toile « fonctionne », elle sera abandonnée avec ses défauts et ses imperfections, sans jamais être conclusive. Comme disait Picasso, terminer un tableau, c’est le tuer, lui enlever son âme, lui donner « la puntilla » en langage tauromachique. Ainsi lorsqu’on l’interroge sur le moment où il doit arrêter le tableau, Szczesny dit en riant qu’il doit avoir atteint la bonne température.
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Étrangère à toute tentative de séduction et imperméable aux modes, la peinture de Marek Szczesny s’affirme comme une déclaration d’autorité, un point d’exclamation. Elle nous dit depuis toujours : « Voilà, je suis là, c’est à prendre ou à laisser ! Ecce homo ».
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Marek Szczesny: _Intranquillité_
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