/TEXTE/ Lucas Talbotier

Conversation entre Lucas Talbotier et l'artiste Nathan Bertet

Nathan Bertet, comme Lucas Talbotier, est peintre. Les deux hommes se sont rencontrés en 2015, aux Beaux-Arts, dans l’atelier de James Reilly que Nathan, légèrement plus jeune, a rejoint quelques années après Lucas. Ils sont devenus amis, puis le sont restés, chacun offrant à l’autre un regard extérieur et bienveillant sur ses œuvres en gestation, ainsi que ses réflexions sur cette préoccupation commune qui les anime : comment peindre. 

 

Le 10 septembre 2024, Nathan a rendu visite à Lucas dans son atelier de Montrouge, et à la demande de ce dernier, a enregistré et transcrit leur conversation, éditée et reproduite ci-après.

 

(Nathan est arrivé depuis une dizaine de minutes, il aide Lucas à déplacer les toiles terminées, pour les mettre de côté un mois tout juste avant l’exposition – et ce dernier surprend le regard qu’il pose sur un détail de l’une d’elles).

 

 


 

 

 

Lucas :

Tu l’as vue, cette tâche, en bas ?

 

Nathan :

La blanche ?

 

Lucas :

Oui, elle te dérange ?

 

Nathan :

Non… Mais ce blanc sur le jaune c’est la même histoire que le bleu qui passait sur ta branche tout à l’heure, dans l’autre toile dont on a discuté et que tu m’as dis vouloir retoucher. Est-ce que ta peinture est une peinture qui se retouche, sur laquelle tu dois revenir plusieurs fois ? Toi cela te dérange, mais bon, tu n’es pas en train de faire un Courbet ou… d’ailleurs, je ne sais pas si un Courbet, cela se retouche.

 

Lucas :

Courbet, ce n’est pas le bon exemple, à mon avis. Il y a des choses que tu ne tolères pas et d’autres que tu admets dans tes peintures. C’est une question de tolérance : chacun son langage.

 

Nathan :

Pourquoi as-tu fait cette tâche blanche alors ? Tu allais faire quoi ?

 

Lucas :

J’en avais fait partout au départ. Puis, je les ai toutes repassées avec du jaune, parce que je pensais qu’il y avait du blanc dans les hortensias, mais finalement ce n’est pas du blanc comme ça …

 

Nathan :

Mais celle-là, tu l’as laissée ?

 

Lucas :

Celle-là, je la laisse… Il faut quand même laisser voir la trace de ce que j’ai essayé de faire. 

À un moment, j’ai cru qu’il y avait du blanc sur ces hortensias.

 

Nathan :

Il y en a toujours, derrière le jaune.  Finalement du blanc, il y en a sûrement, mais il n’est pas en bloc comme tu l’avais peint. Il serait plutôt strié, avec plein de petits traits.

 

Lucas :

Il aurait dû être diffusé.

 

Nathan :

Est-ce que ça a besoin d’être retouché, au fond ? Comme ces couleurs, à gauche, sur la réserve, elles appartiennent à la peinture !

 

Lucas :

Ces couleurs, je les ai acceptées. Elles font échos aux tiges des hortensias.

 

Nathan :

Je pense que pour l’instant c’est ma préférée.

 

Lucas :

On verra… C’est ta préférée avant de voir l’exposition, après ça va changer.

 

Nathan :

À ta dernière exposition, ma préférée était le sans titre (Untitled, 2022). En y repensant maintenant, c’est toujours ma préférée.

 

(Lucas compte les peintures qui seront exposées. Elles sont pratiquement toutes disposées sur le mur.)

 

Tu fais les comptes ? Cette autre peinture, elle me fait penser à une que j’ai déjà vu, ou alors tu me l’avais peut-être déjà montrée. A priori, pour une raison obscure, elle m’évoque une toile de Barnett Newman, juste avant les premiers zips, avec un palmier.

 

Lucas : 

C’est vrai. Je n’ai pas pensé à Newman en faisant cette peinture, mais Ilse D’hollander à qui, pour le coup, j’ai beaucoup réfléchi, a forcément dû les voir.

 

Nathan :

Je l’ai rêvée ! 

Et le sujet de ta toile ce sont des oliviers ou des graminées, non ? 

 

Lucas : 

Non, ce n’est pas ça, ce n’est pas vraiment figuratif. C’est plutôt l’idée d’un arbre, et l’idée de ses feuilles.

Ça ne fait pas écho à une espèce en particulier, en tout cas sur celle-ci. Ici, en revanche, ce sont bien des bouleaux.

 

Nathan :

J’en ai vu de beaux en chemin.

 

Lucas : 

C’est beau les bouleaux.

 

Nathan : 

Eux, ils avaient déjà perdu toutes leurs feuilles. Ils étaient énormes, bien groupés, bien étendus sur le haut et blancs. Le soleil les frappait…c’était pas mal. Et les aquarelles, elles se regardent comment ?

 

Lucas : 

Celle-là, en portrait. J’en ai d’autres, là, si tu veux.

 

Nathan : 

Celle-là, c’est elle.

 

Lucas :

Oui, je l’ai fait beaucoup de fois sur papier. 

 

Nathan :

Et elle, c’est cette autre toile ?

 

Lucas :

Non, je ne l’ai pas fait à l’aquarelle, celui-là (ce motif). J’aimerais.

 

Nathan : 

Elles seraient bien, exposées ensemble... Et elle, c’est le « mur » sur laquelle tu travaillais quand je suis arrivé.

 

Lucas :

Oui, mais depuis un point de vue beaucoup plus rapproché.

 [...]

Et là, à ton avis c’est quoi, cette petite tache grise en haut ? 

 

Nathan :

Je ne sais pas.

 

Lucas :

C’est le Mont-Saint-Michel ! C’était un beau moment. On était devant, on a peint pendant trois heures, avec Diane et sa mère. Au coucher du soleil, c’était vraiment magnifique…

 

Nathan :

(Rire) Tu n’aurais pas dû me dire que c’était le Mont-Saint-Michel parce que je ne le vois toujours pas du tout ! Mais elle est très belle.

 

Lucas :

C’est peut-être ça, le truc. Et celle-là alors, ça te dit quelque chose ?

 

Nathan :

Non. Je connais ?

 

Lucas :

Ce n’est pas un endroit chez toi ?... Ça ne te dit rien, une ballade chez toi ?

 

Nathan :

Bah peut-être !

 

Lucas :

Quand on était en dessous du saule pleureur sur le chemin du lac ? Tu te rappelles pas ?

 

Nathan :

Oui oui, mais j’essaye de voir le saule. Le blanc en bas c’est le lac ?

 

Lucas :

Non, c’est le chemin.

 

Nathan :

C’est quand on était tous les deux, sous la pluie, avec le chien ?

 

Lucas :

Oui, après c’est simplement la mémoire, juste ce dont je me souviens. Je n’ai pris aucune photo ce jour-là.

 

Nathan :

Je peux te donner un conseil ?

 

Lucas :

Oui, bien sûr.

 

Nathan :

Les saules pleureurs, leurs bois sont jaunes au bout des branches. C’est un jaune vif, on dirait du cadmium. Tu le vois mieux quand ils perdent leurs feuilles.

 

Lucas :

Je ne me souviens pas du tout de ça. Je vais y réfléchir…

 

Nathan :

Et alors ! Les visages ?

 

Lucas :

Celui de Diane et sa sœur ?

 

Nathan :

Oui, et l’autre aussi, toi et Diane… bah alors, il s’est passé quoi ? (C’est la première fois que je te vois peindre des visages !)

 

Lucas :

J’avais besoin de les peindre… Diane… Diane et sa sœur, quand on était l’hôpital. Envie de peindre ces moments, ces instants de grâce.

 

Nathan :

Cela te donne envie d’en faire d’autres…

 

Lucas :

Je pense oui. J’aimerais bien faire une série de nageurs. Peindre Diane dans la piscine ou Diane et sa mère dans l’eau à Saint-Pair. Il y a plein de choses que j’ai envie de peindre maintenant, j’ai surtout envie de me sentir libre, peindre ce que je veux. De ne pas avoir peur. C’est des moments que j’aime. Pendant longtemps, je me suis empêché de les peindre. Maintenant, je sais que je peux le faire de la même manière que quand je peins des paysages, avec un autre but que d’être objectif. Tu vois, là ce n’est pas grave si les cheveux sont vraiment trop longs, s’il y en a beaucoup trop. Il y a plein de choses absurdes, mais j’aime l’idée de voir cette peinture, de l’avoir faite, c’est ce dont je me souviens de cette scène.

 

Nathan :

Il y a tout de même de belles choses qui arrivent sur la toile.

 

Lucas :

Justement, je suis content qu’il y ait ces choses qui arrivent… de sortir cette peinture du contexte où elle a été vécue. Content aussi qu’elle puisse faire écho à l’autre qui est une vue de la fenêtre de la chambre. J’aime bien qu’il y ait l’intérieur et l’extérieur de cet endroit où l’on a passé beaucoup de temps avec Diane. Ça nous permet de nous rappeler de ce moment autrement, moins lourd, de le sortir de la maladie. Être réunis c’était beau. C’est quelque chose à peindre.

 

Nathan :

Je trouve que la seule chose qui est vraiment peinte, c’est la joue de Diane. Enfin, le reste c’est de la peinture…mais c’est plus relâché. Ce que je veux dire, c’est que ce n’est pas l’espace que tu as voulu peindre, non plus que les habits. À un moment tu as envisagé de le faire, mais tu t’es ravisé, tu as choisi que ce soit son visage.

 

Lucas :

Oui. Sur cette peinture, le visage de sa sœur a été posé tout de suite. Il n’a presque pas bougé. Diane, elle est passée par plein d’étapes.

 

Nathan :

Je me rappelle qu’on a eu cette discussion au début de la toile.

 

Lucas :

C’est bien plus difficile de peindre Diane que sa sœur.

 

Nathan :

Diane, elle doit être dure à peindre.

 

Lucas :

Ultra-dure à peindre. Sur l’autre portrait que je fais d’elle, ce sont ses lèvres que je n’arrive pas encore à rendre.

 

Nathan :

Sa joue, ce blanc sur le ton chair, il est très réussi… Finalement, c’est elle, ma préférée.

Juste pour cette joue. J’aime aussi les autres. Je trouve que celles de paysages, elles sont au niveau des plus belles de ta précédente exposition.

 

Lucas :

Mon ressenti, c’est qu’en peignant des paysages, je ne sors pas trop de ma zone de confort. C’est moins difficile pour moi de peindre la nature que Diane.

On pourrait dire que peindre des bouleaux, c’est moins engageant que de peindre la personne que j’aime ou sa sœur. Sa sœur, elle va venir à l’exposition, elle va se voir, elle va regarder. Ses parents seront là, enfin tu vois…

  

Nathan :

Celle-là, en faisant ça, tu considères que tu prends des risques ?

 

Lucas :

Oui, plus qu’avec les arbres.

 

Nathan :

Même les arbres, si on revient en arrière…Quand tu étais à l’Atelier Marceau, c’était déjà risqué. Même quand tu étais aux beaux-arts, tu aurais peint ça, le soir même, on aurait bien rigolé.

 

Lucas :

Ça ne l’est plus. Je ne suis plus le même peintre, plus la même personne. Cela remonte à bientôt dix ans.

 

Nathan :

Là où je veux en venir, c’est que ce sont de bonnes peintures. C’est moins engageant maintenant, mais n’oublie pas qu’il y a un an, elles ne l’étaient pas. Tu les as digérées, mais cela ne veut pas dire que tu ne galères pas à les faire, que tu n’en tires pas de plaisir.

 

Quand tu vois celle-là, il y a beaucoup de points communs avec tes anciennes peintures. Pourtant, c’est différent. Il y a beaucoup de choses, dans la texture, qui viennent de ces aquarelles que tu as commencé à produire plus récemment. 

 

Lucas :

Complètement, elle vient de l’aquarelle. J’en ai fait beaucoup avant, c’est l’aquarelle qui m’a aidé, clairement. Je suis très content d’en faire ! D’ailleurs, je ne sais pas du tout comment les accrocher.

 

Nathan :

Je les mettrais à côté des peintures, pas rassemblées dans un coin. Avec celle-ci (Le jardin de Saint-Pair-sur-Mer, 2024), par exemple, tu en présentes une à côté.

 

Lucas :

Il n’y en aura pas de ce sujet.

 

Nathan :

C’est pas grave, ça donne des indices… Je pense que tu as assez des peintures, pas besoin de stresser.

 

Lucas :

J’aimerais bien aussi finir celle de Diane et moi, tu en penses quoi ?

 

Nathan :

Tu auras accès à tout l’espace où tu peignais en résidence pour ton exposition ?

 

Lucas :

Oui, il y aura juste des cimaises en moins. Tu m’aides à l’accrocher sur le mur, pour voir ?

  

Nathan :

C’est le même format que l’autre portrait,

 

Lucas :

En réalité il y a quelques centimètres en moins.

 

Nathan :

Un carré

 

Lucas :

Un faux carré

 

Nathan :

C’est l’amour là !… Alors elle n’est pas finie ? Des endroits qui le sont ?

 

Lucas :

Je l’ai peinte toute la matinée. Regarde, les endroits où ça a coulé. J’ai fait des cheveux, il y en a trop. Il faut que j’efface, ici revenir un peu, là il y a un problème avec le menton, et j’ai fait la bouche.

 

Nathan :

J’ai un peu du mal avec la fleur.

 

Lucas :

Oui, elle n’est pas belle la fleur.

 

Nathan :

Parce que, ce qui est très beau avec un coquelicot, c’est que le pétale, il est diaphane, ça ressemble à du papier.

 

Lucas :

C’est juste, mais ce n’en est pas un. C’est une tulipe. Et c’est dans le jardin, chez vous.

 

Nathan :

Ah oui ! C’est une des tulipes que j’ai cueillie pour notre soirée de fiançailles !

Et en bas, c’est notre nappe jaune. Alors si c’est une tulipe, ça change tout… Ce n’est quand même pas le bon rouge.

 

Lucas :

Non, je n’arrive pas à le trouver pour l’instant.

 

Nathan :

Je vais peut-être dire une bêtise. Mais j’aurais pris du bleu, de l’indigo. Comme toi, peut-être j’aurais commencé avec l’orange, mais en le voyant, je me dis que ce n’est pas la bonne solution.

 

Lucas :

Oui, ce n’est pas bon. J’aurais dû prendre du carmin et je serais venu ensuite avec de l’orange.

 

Nathan :

Je serais sorti du rouge. Parce que la texture de la tulipe fait que le pétale devient presque laiteux. Mais maintenant, passe une légère couche d’indigo, arrive au rouge par le violet, un peu comme sur le haut de Diane, juste à peine plus claire.

 

Lucas :

C’est difficile.

 

Nathan :

Après, garde une ligne orange pour la profondeur, pour faire exister le pétale de l’intérieur, ça peut être très beau. Finalement, l’orange ce n’est pas une erreur. Il n’y a pas d’erreurs de toute façon.

 

Lucas :

Non, il n’y a que du boulot.

 

Nathan :

Ça pourrait être un titre d’exposition ! Et d’ailleurs, tu l’as trouvé, le titre ?

 

Lucas :

Oui. Auprès de toi. Tu en penses quoi ? Ça va ?

 

Nathan :

Oui, c’est bien.

 

Lucas :

C’est honnête, non ? Parce que c’est auprès de Diane, des paysages, des arbres. De Ilse D’Hollander, de plein de choses.

 

Nathan :

C’est surtout auprès de Diane, non ? C’est ça qui compte.

 

Lucas :

Oui, c’est beaucoup auprès de Diane.

 

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Release November 2024