Depuis la fin des années 70, Jean-François Lacalmontie poursuit une oeuvre échappant à la plupart des classifications traditionnelles. Dans un premier temps son travail consiste, d’une façon compulsive, à remplir quotidiennement de milliers de signes des pages d’innombrables carnets . Evoquant parfois des sortes d’idéogrammes, ni tout à fait abstraits, mais jamais totalement figuratifs, ces formes, ces « choses », ces « objets » comme il les nomme, nourrissent un répertoire de formes constituant son alphabet formel fondamental.
S’apparentant à une sorte d’écriture sans contrôle rationnel, ce processus de distanciation permet une essentialisation du geste graphique, dont les émergences obsédantes questionnent les conditions d’apparition de la forme.
Puis vient le temps de la peinture. Lacalmontie sélectionne parmi les milliers de motifs révélés dans ses carnets ceux qui constitueront les sujets de ses toiles. Il les découpe, les copie sur du film transparent et les vidéo-projette afin de les travailler agrandis sur toile. Tracées au fusain, d’un noir intense, ces formes se chargent d’une grande subtilité. Sensuelles et fragiles, elle participent de la profonde élégance émanant de cette oeuvre et que le commissaire d’exposition Olivier Kaeppelin, observateur attentif et précis a depuis longtemps identifiée.
Les formes de Lacalmontie émergent sur des fonds extrêmement ouvragés, des espaces de peinture, le plus souvent sur des toiles de formats divers, petits, moyens et grands, parfois ces espaces de travail se transportent directement sur le mur ou en de grandes tapisseries de dessins sur lesquelles seront accrochés quelques tableaux eux même chargés de dessins ou de motifs incongrus comme par exemple des origamis, des monochromes, des fragments de palette, visant par là l’impossible rationalisation de la représentation.
Qu’est-ce qu’un tableau, quel est son statut, comment le peindre, comment le regarder ? Aucune intention de narration dans les oeuvres de Jean-François Lacalmontie, aucune réponse. Un jeu avec lui-même et avec le spectateur ? Mais les mondes aux équilibres plastiques où rien n’est régulé qu’il nous offre nous invitent à interroger les conceptions classiques et contemporaines d’un langage in-sensé de la peinture. Ici une oeuvre paradoxale, irraisonnée, primitive par certains aspects, échappant au temps. Avec l’exemple du free jazz, ce n’est ni le hier ni l’instant mais la suite.
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Comment entrer dans un tableau ou un dessin de Jean- François Lacalmontie ? Où accrocher notre regard ? Dans quels interstices, sur quel signe pouvant évoquer une chose familière ? Le long des fils croisés des nœuds arachnéens, en haut, en bas, au cœur d’une figure géométrique colorée ? Par où pénétrer ? Se rapprocher ou s’éloigner ? Il faut un certain temps pour reprendre pied. D’ailleurs qu’est ce qui est tableau, qu’est-ce qui est dessin ? Les traits zigzaguent partout et pourtant l’architecture de la composition fuit sans cesse, se fait et se défait au fur et à mesure que l’on s’y promène. Les lignes se nourrissent les unes des autres, se cannibalisent, trois petits tours et puis s’en vont pour laisser émerger un nouveau signe encore plus énigmatique qui à son tour disparait et engendre une figure vaguement connue à laquelle notre œil cultivé se raccroche sans rien comprendre.
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"Jean-François Lacalmontie", Musée des Beaux-Arts de Nantes, exposition personnelle, 1992
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En glissant sur ce flux ininterrompu, en se faufilant entre les possibilités, les frémissements, les ruptures, les sauts dans le vide, les hiéroglyphes, de taches et de faux objets agglutinés qui tricotent un labyrinthe, on finit par voir surgir un espace sans queue ni tête, hyper saturé. Lacalmontie applique dessins sur motifs grâce à son procédé technique de « transparents » brouillant encore plus les pistes. Il élimine ainsi toute anecdote, tout début d’histoire et nous désarçonne définitivement. Il charge encore plus la bête comme on dit, en collant par-dessus certaines images, des clichés qu’il nomme ses « bazars », ces couchers de soleil, ces boutons de rose, ces soleils, ces crânes… toute une panoplie dérisoire de leurres peints pour nous perdre dans un jeu dont nous n’avons pas les règles. Pour nous dire, un brin diabolique : "Regardez bien car il n’y a rien à voir !"
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Ce n’est ni du dessin automatique, ni une écriture jaillie sous champignons hallucinogènes. Tout commence par le geste quotidien, jubilatoire, vital, de dessiner ce qui lui passe par la tête, comme on respire, comme un sismographe enregistrant les soubresauts inconscients d’une mémoire enfouie. D’abord sur des centaines de carnets puis sur de plus grandes feuilles, jusqu’à obtenir un vocabulaire. Lacalmontie entasse ainsi un répertoire, un matériau dans lequel il piochera dans la deuxième phase, celle de construire le tableau, d’explorer ce langage sans relâche, de le retravailler, de réincorporer et de soustraire jusqu’à obtenir, grâce à différentes techniques, cette longue mélopée incompréhensible.
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"Matière à doute", Centre d'art contemporain de la Matmut, exposition personnelle, 2018
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Mais parfois le jeu de palimpseste est plus calme. Plus aéré. Les « choses », comme il les nomme, ne se bousculent pas et flottent dans des cieux fantomatiques. Les blancs ne sont plus des effacements, ou des fenêtres sur le vide de la toile elle-même, mais plutôt des fonds un peu comateux. Si l’on regarde bien à travers cette sorte de brume, on voit surgir comme des vaisseaux de dessins noyés qui surnagent : Ce sont les rêves des dessins oubliés qui s’invitent. La mémoire qui fait tapisserie. Il en va ainsi de l’impossibilité de fixer la transparence, le temps qui fuit, le hors champ, l’intranquillité existentielle.
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Exhibition view © Agence Phar
